Pourquoi les Chinois quittent-ils la Chine ?
La crise du Covid-19 en 2020 a mis un coup d’arrêt, sans doute provisoire, aux mouvements migratoires et beaucoup de Chinois ont regagné leur pays. Mais jusqu’à cette date, alors que le potentiel de croissance de la puissance chinoise fascine le monde, des millions de Chinois ont choisi l’exil depuis l’ouverture de la Chine au début des années 1980, et le mouvement tend à s’accélérer. Si les motivations sont diverses, elles témoignent toutes d’un déficit de confiance en l’avenir de la puissance chinoise.
Pionniers de cet exil, les jeunes Chinois sont de plus en plus nombreux à tout tenter pour aller étudier à l’étranger, aux États-Unis, mais aussi au Canada, en Australie, en Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, au Japon en France ou en Allemagne. Ils étaient 670 000 en 2018, une augmentation de 11 % par rapport à l’année précédente, et 60 % des parents déclaraient vouloir offrir une éducation à l’étranger à leurs enfants, suivant ainsi l’exemple des dirigeants dont les enfants – comme la fille du président – ont tous étudié dans les plus prestigieuses universités américaines – qui devraient s’ouvrir à nouveau aux étudiants chinois avec l’élection de Joe Biden – ou britanniques.
Plus préoccupant pour l’avenir de la puissance chinoise, d’après les chiffres du ministère de l’Éducation, si 79 % de ces étudiants choisissaient de revenir en Chine en 2018, les meilleurs dans les disciplines scientifiques et détenteurs d’un Phd choisissent de rester, souvent aux États-Unis. La crise du Covid-19 a renversé cette tendance, mais la réticence au retour témoigne du peu d’attractivité de la Chine pour les porteurs des innovations de demain.
Cette volonté de départ se retrouve dans toutes les sphères de la société chinoise. Pour les moins privilégiés, l’immigration, vers l’Afrique ou encore l’Amérique latine, répond aux difficultés économiques et à une volonté de trouver des opportunités. Pour les classes moyennes et les milieux plus privilégiés, l’immigration est liée à un besoin de sécurité, notamment financière, et s’accompagne d’une fuite importante des capitaux que le pouvoir tente de maîtriser. Les craintes induites par la campagne anti-corruption et le contrôle de plus en plus strict de toute expression poussent les éléments les plus dynamiques à un exil de précaution, qui n’interdit pas les allers et retours dès lors que l’on est assuré de pouvoir repartir.
Plus positif, le tourisme à l’étranger se répand, bien que moins de 10 % de la population chinoise dispose d’un passeport. En 2018, 149 millions de touristes chinois se sont rendus à « l’étranger », dont plus de la moitié à Hong Kong et à Macao, où l’obligation de passeport n’existe pas. Au-delà, l’immense majorité, motivée par la possibilité de faire des achats à un tarif inférieur de 30 % aux prix pratiqués en Chine, s’est rendue en Europe et dans le reste de l’Asie, y compris au Japon et en Corée du Sud, destinations proches et très prisées. Cette arrivée massive de touristes chinois a entraîné un phénomène de surtourisme et de dépendance dont les effets délétères se sont fait massivement sentir à l’occasion de la crise du Covid-19 en 2020 et l’interruption des échanges.
À la différence du régime soviétique, l’ouverture des frontières joue encore un rôle essentiel de soupape de sécurité face aux tensions sociales et aux frustrations politiques. Pour beaucoup de Chinois, le choix du départ, définitif ou provisoire, remplace l’espoir et la volonté de faire évoluer de l’intérieur un système politique sclérosé.