La Chine, un Empire sans frontières ?
Selon la conception chinoise ancienne, préservée comme idéal pendant toute la période impériale, la Chine était le monde, la totalité de « l’espace sous le Ciel1 » sur lequel régnait l’empereur. Toutefois, dans ce monde sans frontières définies, l’espace chinois a connu des périodes d’unité et d’expansion territoriale, mais aussi de longues périodes de division et de retrait.
Les dynasties « étrangères » occupaient leurs territoires hors du monde chinois avant de se « siniser », certaines dynasties « chinoises » ont étendu leur zone d’influence, comme la dynastie des Han (206 av. J.-C./220 ap. J.-C.), qui a donné son nom à la nation chinoise au sens « ethnique » du terme. D’autres, au contraire, comme les Song du Sud (1127-1279), se sont repliées sur un territoire plus restreint.
La Grande Muraille, constituée d’éléments défensifs consolidés au cours des siècles, marquait une frontière symbolique avec les mondes nomades des « barbares » venus du Nord. Aux confins de l’Ouest et de l’Asie centrale, le long des routes de la soie, des colonies de soldats-paysans établissaient une présence discontinue. Au-delà du fleuve Bleu, le Yangzi, vers le sud, l’espace contrôlé a longtemps été soumis aux divisions entre les dynasties du Nord et celles du Sud. L’autorité de l’empereur diminuait avec la distance. La bureaucratie impériale constituait dans les provinces des fiefs de pouvoir semi-indépendants et la menace de fragmentation, renforcée par des particularismes locaux marqués, pesait sur l’Empire comme elle pèse sur la puissance chinoise aujourd’hui au-delà de la fiction d’une unité séculaire.
La fiction d’un espace universel, dans lequel l’ensemble des États reconnaissait la suprématie de l’empereur de Chine en versant un tribut, s’est perpétuée jusqu’à la chute de l’Empire en 1911. La référence au principe du tianxia a été préservée, et aujourd’hui encore Pékin recherche dans ce concept ancien les fondements d’un retour « harmonieux » du leadership chinois en Asie.
Ce n’est qu’à la fin de la dernière dynastie mandchoue des Qing, alors que l’Empire entre en contact avec les États-nations occidentaux soucieux de délimiter leurs zones d’influence, que l’ensemble des espaces marginaux composant l’Empire ont été administrativement inclus dans « l’empire du Milieu » tout en restant distincts de l’espace historique des quinze provinces « chinoises », sur lesquelles s’exerçait l’autorité impériale avant la conquête mandchoue. Dans l’histoire de la Chine, la définition de l’espace géographique chinois a donc recouvert des réalités diverses mal définies, ce jusqu’à une période récente.