Quelles sont les raisons du rapprochement sino-américain de 1971 ?
En pleine Révolution culturelle, la lutte idéologique bat son plein. La Chine opère pourtant un revirement et se rapproche des États-Unis. La visite du président Nixon au mois de février 1972 avait été préparée par le voyage secret de Henry Kissinger, son conseiller pour la sécurité nationale, par ce qu’on a appelé la « diplomatie du ping-pong » et par l’absence de veto américain lors du vote sur l’intégration de la RPC à l’ONU en octobre 19711. Malgré ces signaux annonciateurs, cette première visite d’un président américain a été perçue comme une rupture stratégique, même si ce n’est qu’en 1979 que les relations diplomatiques officielles entre Pékin et Washington seront rétablies.
En réalité, dès la fin des années 1960, après la rupture idéologique avec Moscou, la Chine avait réévalué à la baisse la menace américaine. Les États-Unis, en prise alors à des difficultés au Vietnam, ne semblaient pas prêts à se lancer dans une offensive militaire contre elle. L’URSS, au contraire, apparaissait comme la menace principale alors que, idéologiquement, le régime chinois s’enfonçait dans une véritable hystérie « antirévisionniste2 ».
Pour les stratèges chinois, dans un calcul de realpolitik, le rapprochement avec les Américains devait conforter leurs positions face à une menace soviétique perçue comme plus dangereuse. Les États-Unis, de leur côté, considéraient qu’un rapprochement avec la RPC, alors économiquement et militairement faible, pourrait à la fois renforcer leur marge de manœuvre face à l’URSS, mais également affaiblir le régime nord-vietnamien contre lequel les troupes américaines étaient engagées.
Cette visite « historique » marquera les esprits en Occident et aux États-Unis. Avec cette ouverture, la Chine prend la première place dans la politique asiatique des États-Unis, au risque d’affaiblir les alliances traditionnelles, dont celle avec le Japon. Choqué par l’absence de consultation préalable, Tokyo établit de son côté les relations diplomatiques avec la RPC dès la fin de 1972.
En Chine, ce brusque revirement a été présenté comme un triomphe de la stratégie maoïste, l’ennemi américain venant humblement demander audience aux dirigeants chinois. Le communiqué de Shanghai, signé à l’issue de la visite du président Nixon, semblait légitimer les positions de Pékin sur Taïwan : Washington reconnaissait que « tous les Chinois de chaque côté du détroit considèrent qu’il n’y a qu’une seule Chine et que Taïwan fait partie de la Chine ».
Le rapprochement sino-américain des années 1970, qui a inauguré jusqu’à la fin des années 1980 une période de coopération étroite, y compris sur le plan militaire, est perçu en Chine comme la meilleure période des relations avec Washington. Cette période constitue toujours une référence, dans un contexte stratégique qui a pourtant profondément évolué depuis la fin de la guerre froide et la disparition de la « menace soviétique ».