Qu’est-ce que le Grand Bond en avant en Chine ?

Qu’est-ce que le Grand Bond en avant en Chine ?

Le « Grand Bond en avant », campagne de mobilisation de masse qui aurait fait plus de 35 millions de morts, fait partie de l’histoire de Chine et de la mémoire interdite du régime chinois. En dépit des évolutions que la puissance chinoise a connues, des éléments du Grand Bond en avant caractérisent toujours le fonctionnement du régime chinois. Le volontarisme, qui pousse à brûler les étapes en accomplissant des « bonds technologiques », demeure présent, tout comme l’objectif du rattrapage, à n’importe quel prix, des grandes puissances occidentales. En 1957, Mao annonçait être en mesure de « rattraper la production d’acier de la Grande-Bretagne en quinze ans ». La dimension quantitative, en dépit des surplus inutiles et du coût écologique de cette course à la production, domine encore la volonté de croissance de la Chine.

En 1958, lorsqu’il lance le Grand Bond en avant, Mao cherche à consolider son pouvoir. Le mouvement de déstalinisation en URSS, les révoltes anticommunistes, qui se multiplient en Europe centrale, sont perçues comme des menaces directes contre le régime chinois.

Deux ans auparavant, en 1956, la « campagne des Cent Fleurs », censée renforcer le régime en autorisant les critiques « constructives » contre l’appareil du Parti communiste, a pris une ampleur incontrôlée qui n’est interrompue que par une reprise en main brutale qui fait plus de 500 000 victimes parmi ceux, désormais qualifiés de « droitiers », qui se sont exprimés. Le mouvement de masse du Grand Bond en avant est pour Mao un moyen de reprendre le contrôle du Parti et de la société, et d’affirmer la supériorité du modèle révolutionnaire chinois sur l’Union soviétique dont il s’est éloigné depuis l’arrivée au pouvoir de Nikita Khrouchtchev.

Dès 1958, le mouvement de collectivisation des terres s’accélère avec la création des premières communes populaires qui regroupent des milliers de foyers. La propriété privée est abolie. Les campagnes doivent fournir des quotas toujours plus élevés de céréales à l’État. Dans le même temps, Mao Zedong prône une accélération de la production industrielle avec la construction de dizaines de milliers de « hauts fourneaux » de campagne, censés augmenter la production d’acier. Les paysans, constamment mobilisés, y compris pour la construction de gigantesques projets hydrauliques, sont massivement touchés par la famine provoquée par ces choix aberrants. La violence et les divisions de la société s’accroissent avec la multiplication de rébellions locales, le pillage de réserves, mais aussi des phénomènes de cannibalisme1.

Il faut attendre 1961 pour que les instances du Parti mettent un terme à cette expérimentation tragique à l’échelle d’un pays et reviennent pour un temps sur la collectivisation massive des terres. En 1962, Mao Zedong fait son « autocritique » devant une conférence des cadres du Parti. Le blâme ne concerne que les responsables locaux accusés d’avoir outrepassé les directives. Mao Zedong, éloigné du pouvoir pour un temps, repart à l’offensive en 1966 avec la Révolution culturelle.