Qu’est-ce que le « massacre de Nankin » ?
Le 13 décembre 2014, soixante-dix-sept ans après les événements, la RPC instaure le « jour du Souvenir du massacre de Nankin ». Cette décision tardive marque les ambiguïtés autour de la mémoire du massacre. Il existe en effet au moins deux dimensions. La première est celle de la réalité historique. Pendant près de deux mois, après la chute de Nankin, capitale de la Chine nationaliste, le 13 décembre 1937, les troupes japonaises se livrent à des exécutions massives, des viols et des pillages. Justifiées a posteriori par les autorités japonaises par la nécessité d’éliminer toute résistance de la part de soldats chinois ayant abandonné leur uniforme, les exactions touchent en réalité la population civile, y compris celle qui s’est réfugiée dans la zone internationale administrée par les quelques étrangers demeurés sur place.
Le nombre de morts demeure sujet à débats, mais les historiens japonais les plus sérieux s’accordent pour considérer que le massacre de Nankin aurait fait entre 100 000 et 200 000 victimes civiles et militaires, dans la ville même et ses alentours.
L’autre dimension est celle de son utilisation contemporaine en RPC. Cet événement dramatique constitue pour Pékin un facteur de légitimité et d’unité nationale fondé sur la revendication du statut de victime et le maintien du Japon dans sa position d’ennemi illégitime. Mais, paradoxalement, jusqu’à une période récente, le massacre ne constituait pas un sujet pour les dirigeants chinois. Pour Mao Zedong1, à la tête du Parti communiste, Nankin n’était que la capitale du gouvernement nationaliste, et la mémoire du massacre aurait contribué à rappeler le rôle joué par les forces républicaines dans la lutte contre le Japon.
Dans les années 1970 et 1980, la Chine voulait se rapprocher de Tokyo pour des raisons stratégiques – face à une Union soviétique considérée comme la « menace principale » – et économiques. Par ailleurs, comme le déclarera cyniquement Mao Zedong au Premier ministre japonais Tanaka avant l’établissement des relations diplomatiques en 1972, c’est « grâce à l’invasion du Japon » que le Parti communiste a pu prendre le pouvoir sur un gouvernement nationaliste épuisé par huit années de guerre.
Il faut attendre 1985 pour qu’un premier monument soit construit par la municipalité de Nankin. L’importance accordée à la mémoire du massacre en Chine ira croissant avec l’instauration des « campagnes d’éducation patriotique » destinées à renforcer la légitimité du régime. Rénové en 1995, puis en 2005, le mémorial est devenu un espace imposant, où le chiffre officiel de 300 000 victimes, revendiqué par Pékin, est gravé dans la pierre en plusieurs langues. Il s’agit de perpétuer la mémoire du massacre et plus encore de la culpabilité du Japon. Ce monument joue un rôle majeur dans l’affirmation de puissance de la Chine aujourd’hui.